samedi 31 juillet 2010

Chicago Blues




Si un jour vous connaissez quelqu’un qui fait un voyage à vélo de longue haleine, dites-lui de se méfier de "la ville célèbre". Il comprendra. C'est cette célébrité dont on rêve depuis des jours, et qui était déjà vouée, avant même de partir, à devenir une étape-clef. Au point où on se donne l'illusion qu'une fois cette marche atteinte, l'escalier est presque gravi. C'est presque fini. Appelons ça le Chicago Blues.

Tout ça, c'est la faute aux politiciens de Chicago au 19e siècle, eux qui, avant-gardistes ou hardis, ont pressenti l'importance géographique que pourrait avoir leur ville, s'ils jouaient bien leurs atouts.

Regardez sur la carte au haut de cette page. Chicago est aux portes des grandes plaines de l’Ouest. Mais surtout, grâce aux Grands Lacs, elle est ouverte sur la côte Est, et sur le reste de la planète.

Chicago, c’est une New York. Ou bien une ville européenne par son architecture, qui ravit même ceux qui ne connaissent rien à l'architecture. C'est une ville qui jouit d'un dynamisme culturel et artistique énorme. C'est pour ça que les touristes l’adorent, et moi aussi.

Mais c’est aussi une ville de l’Ouest, tournée vers les fermiers et les éleveurs de boeufs. Elle a les deux pieds fermement plantés dans la prairie.

Après presque quatre semaines de vélo (sur 5) et 3500 km (sur 5000), en arrivant à Chicago le soir du 22 juillet, une partie de mon cerveau me disait wow, j'ai presque fini. Une partie de mon cerveau ne voulait pas entendre que j’avais encore les deux roues dans l’Ouest. Le blues que je craignais de ressentir pendant le trop long Kansas, et qui n'était pas venu, je l’ai un peu éprouvé à Chicago lorsqu’il a bien fallu me lever, en milieu d'après-midi du 23 juillet, d'une sympathique terrasse où je prenais un sympathique dîner avec vue sympathique sur le parc, la rue, les gens.

Mais si ce n'est que ça, vous me direz qu'il est difficile de se détacher des charmes de toute grande ville, surtout quand on veut rompre avec des milliers de kilomètres à vélo... et vous avez raison! Kansas City n'était pas mal elle non plus. La meilleure idée que j'ai eu a été de me dessiner un parcours qui serpentait à travers des banlieues choisies. Comme Ottawa (eh oui, il y a une Ottawa au Kansas) son quartier historique...

et son palais de justice...

... puis Olathe où débute vraiment une zone urbaine ininterrompue. Olathe et son palais de justice (pourquoi les palais de justice surpassent-ils souvent en beauté les hôtels de ville là-bas?)...

puis le coeur de Kansas City et l'art contemporain...
Ceci n'est pas un moineau de badminton tombé dans l'herbe. Les deux taches blanches à droite sont des gens. (Musée d'art contemporain de Kansas city, 17 juillet 2010).

Eh bien, Chicago, c'était pareil, mais avec sa célébrité en prime. Cette métropole contient de quoi occuper le corps et l'esprit pendant des semaines.
Le haricot, un cas d'art contemporain devenu en quelques années un symbole de Chicago. Dans la série "Trouvez Charlie", trouvez Pascal sur le haricot. (23 juillet 2010)
L'oeil, un cas tout récent. Sculpture de 9 mètres de haut par Tony Tasset, au parc Pritzker, devenue en un rien de temps la nouvelle coqueluche des photographes de partout à travers le monde.

Or, c'est tout à fait là qu'est le Chicago blues. J'aurais bien voulu rester en mode contemplatif, mais je ne pouvais pas, j'avais un itinéraire à compléter (je suis une tête de cochon...). Et après m’être levé de ce sympathique café pour ce « petit parcours » des quelques heures qui restaient à écouler dans la journée du 23 juillet, j’ai eu droit, sur la piste cyclable longeant le lac Michigan, à des images dignes de vacances, ou du moins que mon cerveau-en-vacances souhaitait voir comme telles.


Mais tout de suite après, la banlieue Est, plus moche que la banlieue Ouest, m’a rappelé à la réalité: le lendemain et le jour suivant, j'allais plonger dans un long territoire de plus de 350 km, entre les lacs Michigan et Érié, où rien d'aussi intéressant ne s'annonçait au programme. Et après ça, il y avait encore une semaine avant Montréal...

Eh bien voilà ce que c'est, le blues du cycliste: se mettre à ruminer sur ce qui reste devant, alors qu'il est plutôt essentiel de rester concentré sur l'ici et le maintenant —une journée à la fois, comme ils disent. C'est schizophrène sur les bords, mais ça marche.

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