Je connais beaucoup mieux mon continent depuis que je le pédale.
C'est un cours de géographie, commencé par la théorie —Google Maps— et complété chaque jour par des travaux pratiques.
Prenez le Kansas. Vaste plaine, des champs à perte de vue, seulement interrompus par la ligne d'horizon? C'est à peu près ce que j'imaginais, et sur la carte, cette interminable ligne droite que semblait être la route n'avait rien pour me rassurer. D'autant moins que j'allais y passer 6 jours, en comptant la journée tout aussi rectiligne pour sortir du Colorado. (voir la carte au bas de ce billet)
Premier cliché: Eh bien le Kansas n'est pas plat. Il est ondulé.
Lorsque j'ai arrêté mon précédent récit, je terminais la descente de ce côté des Rocheuses et je me rendais compte que, même si j'étais encore à 1500 m de haut, le reste de la descente serait si progressif que je ne remarquerais rien.
Mais l'important ne fut pas là. L'important furent ces ondulations. Donc, il y a des collines. Donc, la ligne d'horizon est moins loin. Donc, la voiture qui me dépasse disparaît plus tôt, ce qui veut dire: tiens, ça descend, là-bas. Allons voir ça.
Ensuite, il n'y a pas de champs à perte de vue. Commençons dans le Sud-Est du Colorado, qui est déjà presque le Kansas: sur près de 300 km, c'est le "grassland". C'est-à-dire? Eh bien vous connaissez peut-être ce type de paysage sous le nom de pampa (en Amérique du Sud), ou de steppe (en Asie). Wikipédia le définit comme une immense étendue d'herbes dont les arbres sont le plus souvent complètement absents. Eh bien oui, c'est exactement ça.
Progressivement, un peu d'agriculture apparaît, comme à Kim, minuscule village de quelques centaines d'habitants, et le seul à 75 km à la ronde.
Et à un moment donné, sans même s'en être rendu compte, les champs: à gauche, en friche et jaunis par le soleil; à droite, cultivés. Ou vice-versa. Pendant 500 km qui ne sont pas plats ni uniformes... et pourtant, même ce livre de téléphone semble vouloir perpétuer le cliché!
Bottin téléphonique de la région de Ulysses, Kansas (12 juillet 2010).
Au Québec, les clochers d'église signalent qu'on approche d'un village. Ici, ce sont, évidemment, les élévateurs à grains.
Enfin, arrivé à l'est du Kansas, sur les 100 derniers km avant la banlieue de Kansas City, ce n'est déjà plus tout à fait le Kansas, mais le Missouri: un pays de collines —des vraies cette fois: on se croirait au Vermont— où la culture du foin est à l'honneur.
Un des rares parcours du Kansas sur une route secondaire (County Road) qui soit pavée. Entre Emporia et Lebo (16 juillet 2010).
Cliché no 2: où est John Wayne?
Le Kansas, pays des cow-boys? Du bétail, certes: ça explique tout ce foin qu'ils doivent cultiver. Mais les clichés ambulants, avec chapeau et bottes de John Wayne, ils sont rares, ils ont les cheveux gris et semblent appartenir au même passé que les hippies grisonnants de la Californie.
Même Dodge City, mythique capitale (qui fut aussi le théâtre de la télésérie Gunsmoke pendant 25 ans). Ça devrait être le royaume du kitsch western, non? Eh bien non: il y a bien le musée qui reconstitue les façades d'une ville du far-west, quelques boutiques, un musée de cire (photo du haut) et une diligence... dans le McDo! Mais en fait, ils n'en ont pas besoin, comme en témoigne ce fleuriste au coin des deux rues principales (photo du bas), qui ne se donne même pas la peine d'avoir l'air western: la principale industrie, et de loin, même autour de Dodge City, ce n'est pas le tourisme, ça reste le bétail.
Dodge City, 13 juillet 2010.
Cliché-qui-n'en-est-pas-un: loin
À tous points de vue, toute cette région, incluant le Missouri, c'est leur région éloignée à eux. Elle est aussi loin de la côte Est que de la côte Ouest. Ce panneau, guère visible (désolé, pas de zoom!) dit qu'on est à 1921 milles de New York... et de San Francisco! Moi-même, j'ai passé la barre des 2500 km, soit la moitié de ce voyage, avant d'arriver à Ottawa, quelque part dans les collines de l'Est.
En contrepartie de cet éloignement, toute la région se rabat sur la seule histoire qu'elle a: la conquête de l'Ouest. C'est fou, le nombre de panneaux qu'on trouve au bord de la route nous informant qu'on est sur la piste de ceci et de cela. En Arizona et au Nouveau-Mexique, il n'y en avait que pour la route 66, mais au Kansas et au Missouri, la Santa Fe Trail était omniprésente, et il y en avait quelques autres, dont une "Mormon Trail". Dans le centre historique de Dodge City, on prend même la peine de nous offrir un panneau nous informant que les premiers Européens arrivant ici jugeaient importants d'être sur le 100e parallèle, mais je ne suis pas parvenu à comprendre en quoi ça leur faisait un pli...
Heureusement, les poseurs de panneaux ont aussi trouvé moyen d'en rire. Sur la photo: traverse de chariots. Route 160, entre Trinidad et Springfield, Colorado.
Pays du foin de l'or noir
Auquel s'ajoute une autre ressource naturelle: le pétrole. Ça n'arrangera pas la culture des VUS et des 4X4. J'y reviens dans un autre billet.
Parce que, bon, ça, c'est vrai, ce n'est pas un cliché, je n'ai jamais vu autant de 4X4 en même temps.
Mais le cycliste que j'étais a toujours été traité avec respect —les voitures qui traversent de l'autre côté de la ligne pour dépasser, les gens qui saluent, les plus curieux qui demandent d'où j'arrive et où je vais.
Même dans des villes relativement petites (disons, assez grandes pour avoir une Main Street avec plus d'un restaurant), il n'est pas rare de trouver un "Mr Java", ou quelque enseigne du genre, où on fait un excellent Moka glacé. C'est bien la preuve que le Kansas a joint la civilisation, non?
L'itinéraire dont il est question dans ce billet. De (A) Trinidad à (B) Springfield, Colorado (11 juillet, 195 km) puis (C) Ulysses, Kansas (12 juillet) et (D) Dodge City (13 juillet), puis (E) Lyons (14) et (F) Marion (15), et enfin (G) Ottawa, Kansas (16 juillet), dernière grande ville avant la grande banlieue de Kansas City, à l'autre bout de laquelle se trouve (H) Liberty, Missouri (17 juillet). En tout, pour cette partie: environ 1050 km.
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