samedi 30 juillet 2011

Sortir du sud

Après ces centaines de kilomètres de pure nature et de perspectives magnifiques, pédaler à travers Washington peut sembler banal. Esthétiquement, l'expérience ne se compare pas, en effet. Mais c'est cette chose indissociable d'un voyage qui donne à Washington ou au moindre hameau, une grande importance: la découverte d'une société qui n'est pas tout à fait la nôtre.

De Waynesboro, où prend fin la Blue Ridge Parkway, jusqu'à Washington, il y a 200 km —les 60 derniers, en banlieues. Entre les deux, les collines et le vert de Virginie. Et un petit avec sa mère, qui me surveille de sous les arbres.


Un train me dépasse sur la route 615, en Virginie. Désolé, je n'ai rien pu faire.
L'itinéraire décrit dans ce billet: de Waynesboro, Virginie (A) à Charlottesville puis Manassas (B) le 21 juillet, puis à Washington (C, 22 juillet). Ci-bas, Market Street, à Charlottesville.
La Virginie a beau être aussi proche de Washington, c'est encore le sud des États-Unis: elle faisait partie des États du sud, les États esclavagistes, pendant la guerre civile (1861-1865). J'ai souvent vu flotter, depuis le début de ce voyage, le drapeau de la Confédération des États du Sud. Malaise. Même malaise lorsque j'avais vu cette plaque, à la Nouvelle-Orléans, soulignant la résidence où était décédé le premier (et dernier) président de cette Confédération des États du Sud.
Mais peut-être que je confond une simple fierté nationale avec le peu que je connais de cette Confédération. Sa partie la plus laide. Qui sait?

Quoi qu'il en soit, je suis arrivé à Manassas, à 55 km du centre-ville de Washington, le 21 juillet, sans savoir que le lendemain, on y célébrait le 150e anniversaire de la bataille de Bull Run, qui ouvrit les hostilités en 1861. Difficile de ne pas rester dans la matinée pour profiter de la parade!



Les journaux locaux, les musées, ne semblent pas passer sous silence la tache honteuse de l'esclavage. Mais comment dansent-ils sur ce fil mince, je suis passé trop vite pour chercher à le comprendre.

D'autant plus que 10 km plus loin, sorti du quartier historique puis passé dans une autre banlieue puis une piste cyclable...
... tout cela semblait bien lointain. C'était le Washington moderne que les panneaux annonçaient. Et quelle joie, pour un cycliste —ajouté au fait qu'on vivait alors, dans la région, la journée la plus chaude de tous les États-Unis— que d'y arriver enfin: ce n'est pas le plus beau trottoir du monde, mais c'est un pont sur le Potomac, avec en arrière-plan l'obélisque, et c'était une sensation formidable que d'être là.
Impossible de résister à la tentation, le lendemain matin (un samedi), avant d'entamer la courte étape suivante, d'aller pédaler sur Pennsylvania Avenue —une piste cyclable en plein milieu d'un boulevard, faut le faire. Impossible aussi de ne pas aller saluer notre ami Barack.

Rendu là, effectivement, la bataille de Bull Run et l'esclavage des Noirs semblent très loin.

Blue Ridge Parkway 4: un brouillard pas entièrement naturel


La brume n’est pas juste un élément sympathiquement naturel. Elle est aussi humaine. Désagréablement humaine.

« Les meilleures estimations », lit-on dans un document des Amis de la Blue Ridge Parkway, « nous disent que nous devrions être capables de voir à 60 milles (100 km) lorsque le brouillard naturel est à son plus épais. Au lieu de cela, la vue est habituellement d’environ 20 milles (32 km), et parfois moins de 8! Et ce brouillard étouffant est une production humaine, le plus gros provenant des centrales électriques au charbon. Le deuxième plus gros contributeur, ce sont les autos. »

Vous vous souvenez des pluies acides? Eh bien, cette pollution « provenant des centrales au charbon », c’en est un des effet. Elle retombe dans les montagnes, puisqu’une montagne a pour caractéristique d’être dans le chemin des vents dominants. Avec pour résultat que la pollution n’affecte pas juste le champ de vision. Les sols sont aussi altérés : les différents documents sur la question expliquent que parce que les sols sont saturés en azote, ils perdent du calcium, ce qui peut affecter la croissance des plantes et des arbres : on l’aurait lié à un déclin de la croissance des épinettes roux, qui sont plus sensibles au froid qu’avant, selon le Service américain des parcs.

Les sols libèrent aussi de l’aluminium, nocif pour les poissons et les plantes. Le soufre et l’azote s’accumulent ensuite dans les ruisseaux et les lacs. Bref, on est loin de la carte postale.

Vous voulez un effet visible à l’oeil nu : des professeurs en sciences de l'environnement et le ministère des Transports de Virginie, pointent du doigt le mortier de ponts comme celui-ci: entre les blocs de granit, le mortier se dissoudrait sous l’effet des pluies acides, laissant les traces blanches visibles sur la pierre.
Pas grand-chose que les Québécois puissent faire, à distance, et dans une société qui dépend si peu des centrales au charbon. À part prendre conscience que même derrière le plus beau des tableaux...

mercredi 27 juillet 2011

Blue Ridge Parkway 3: des vélos et des hommes

Je l’ai dit : zéro camion. Par contre, beaucoup de motos. J’ai même rencontré deux couples de Québécois, dont ceux-ci, de Québec, qui faisaient la route dans l’autre sens, du nord vers le sud.
Il est clair que moto ou vélo, beaucoup de gens sont là avec les mêmes motivations : admirer la nature. Mais faut reconnaître que lorsqu'on est à vélo, le moteur d’une moto, ça rompt pas mal plus le charme que lorsqu’on voyage en auto. Forcément, difficile de leur en vouloir, ça fait aussi partie de ce pour quoi on aime une moto (Connie, si tu lis ceci, tu veux bien commenter?). Mais quand le cycliste (ou le marcheur) choisit une de ces centaines d’haltes, le chant des oiseaux, le vent dans les feuilles, le ron-ron de la vallée tout en bas, sont vite noyés par le vrombissement du deux-roues... que le conducteur semble prendre plaisir à poursuivre pendant les minutes où il s’arrête lui aussi à la halte...

S’il n’y a pas de camions, pas de livraisons, c’est parce qu’il n’y a pas de village ni de commerces. À chaque sortie, et elles sont nombreuses, vous trouverez ce panneau —difficile de se tromper, il n’y a que deux directions pendant 780 km!
Mais il y a des exceptions. Des terrains de camping offrent un minimum de services. Quelques centres d’interprétation vendent des trucs. Une auberge-restaurant-hôtel (j'y ai mangé, pas logé), Peaks of Otter...
... a obtenu une concession du Service des parcs. Elle donne directement sur la BRP et est le point de départ de multiples sentiers de randonnée (trails), notamment autour du lac Abbott et jusqu’au sommet d’un des trois pics, le Sharp Top (1050 m).
The Historic Orchard: une grange, centre d'interprétation et d'animation, sur la pomme bien sûr.
Quelques lieux patrimoniaux...
... dont ce moulin (photo du bas) qui serait, à ce qu’on dit, le lieu le plus photographié de la BRP (ça s'appelle Mabry Mill: il y a un restaurant à 100 mètres).
Et le village le plus « collé » sur la route est sans nul doute Little Switzerland. Un de ces cas étranges : 40 habitants... mais deux restaurants, un hôtel, une librairie de livres usagers (et de Smoothies!)... On m’a expliqué que c’est un village-fantôme en hiver.
Ce qui en dit d’ailleurs long sur les « indigènes » que vous aurez la chance de rencontrer. J’ai trouvé plusieurs allusions au fait que les habitants de toute la portion ouest de la Caroline du Nord, c’est-à-dire la partie montagneuse, sont fiers de dire qu’ils ne collent plus au cliché des « hillbilies », les montagnards barbus et mal dégrossis. Le problème, c’est qu’au fil des décennies, avec la quantité de gens riches qui ont été séduits par la beauté de la BRP et ont acheté des résidences d’été à proximité, la démographie a effectivement changé... mais peut-être juste le long d’une bande de terrain de quelques kilomètres de large? Il y aurait une recherche intéressante à faire, en commençant par les villes de plus grande taille : Asheville (réputée pour ses nombreuses micro-brasseries), Roanoke (Virginie) et Boone... nommée ainsi en l’honneur de qui croyez-vous ?

Un dernier mot, si jamais vous allez là-bas. Je mentionnais les marcheurs au début du texte précédent. Vous préférez la marche au vélo? Tout au long de la BRP, il y a une quantité innombrable de sentiers, de la boucle d’un km pour aller voir une chute d’eau jusqu’à d’ambitieux parcours de dizaines ou de centaines de km. Dont le plus célèbre, le Sentier appalachien (AppalachianTrail), qu’on croise à quelques reprises (sur la photo du bas, trouvez le marqueur).

Pour ma part, j’ai quittée la BRP le 20 juillet, à regrets, à 80 km de la fin : une splendide descente de 11 km (!) a conduit à la rivière James... sauf que tout ce que je venais de descendre, j’allais devoir le remonter, et on était déjà au milieu de l’après-midi.
J’ai donc quitté le parc vers la vallée située juste à l’ouest, qui m’a conduit —sans collines!— à la ville-étape prévue, Waynesboro (Virginie). En me laissant sur un dernier regard, à droite, sur ce que j’avais quitté.
Et c’est la dernière leçon que je peux vous donner : si vous allez là-bas en auto, oubliez l’idée de « faire la BRP ». Ce n’est pas une route qu’on devrait faire au complet juste pour le plaisir de la faire au complet. Choisissez un segment en fonction des sommets qui vous attirent, ou des vallées, ou des villes à visiter, ou des haltes qui vous inspirent —Peaks of Otter ou Little Switzerland, par exemple— ou des sentiers de randonnée. Les ressources Internet ou les livres détaillant mille par mille ne manquent pas : la BRP a plus à offrir qu’une simple route.

lundi 25 juillet 2011

Blue Ridge Parkway 2: à vélo

J’ai déjà écrit « la vie, c’est une côte ». Allusion à vous-savez-quoi. Mais dans ce cas-ci, ce seraient plusieurs. Des marcheurs dans la salle? Si vous avez déjà fait une randonnée pédestre de quelques heures ou quelques jours sur la crête des montagnes, vous avez un petite idée de la Blue Ridge Parkway à vélo. C’est pas parce qu’on est en haut qu’on reste en haut.

Bien sûr, 5 jours à vélo sur la BRP, ce sont des images extraordinaires, je l’ai dit. Et encore, ça commence avant même qu’on ait posé une roue sur la BRP. Après tout, ce n’est pas comme si les montagnes commençaient là où commence la route.

En fait, elles commencent où, les Appalaches? Il existe même des Appalachian studies où on débat cette épineuse question. Les Smoky Mountains, complètement au sud de la Blue Ridge Parkway, en font indéniablement partie, mais descendez un autre 150 km plus au sud, avant Atlanta, et depuis la piste cyclable mentionnée dans un précédent billet, on voit un trio de montagnes qui sont une avant-garde des Appalaches.
Ces mêmes Appalaches qui étirent leur traîne jusqu’au Québec. Autant dire que ça en a fait, de l’eau qui s’est déversée dans les lacs et les rivières de l’est de l’Amérique du nord, ce printemps. Le Richelieu était loin d’être tout seul à déborder.

Il y a dans ce coin-là, avant Atlanta, un village appelé Piedmont, qui s’appelle comme ça parce qu’il est sur un flanc des Appalaches appelé Piedmont, et le flanc s’appelle comme ça pour une raison que seuls les Français et les Italiens comprennent sans doute.
Mais revenons à nos moutons. Dès qu’on quitte Atlanta par le nord, ça n’est pas long que les montagnes occupent l’horizon.


L’itinéraire dont il est question dans ce billet. De Norcross (banlieue d’Atlanta, à 35 km au nord) à Clayton, Caroline du Nord (B, 14 juillet), puis Sylva (C, 15 juillet, 25 km avant l’endroit où j’ai pris la Blue Ridge Parkway), Asheville (D, 16 juillet), Boone (E), Fancy Gap, Virginie (F), Roanoke (G) et Waynesboro (H, 20 juillet).

Et bien sûr, ça monte. Mais lentement : de 350 mètres d’altitude à Atlanta, je suis passé à 600 mètres à Clayton, 150 km plus au nord, ce qui n’est vraiment pas grand-chose. Il y a bien un pic à 1000 mètres ensuite, sur la route 441 vers Sylva, suivi d’une solide descente...
... vers ce charmant village, Sylva, un de ces lieux de villégiature plus peuplés en été qu’en hiver. 220 km au nord d’Atlanta et une vingtaine de kilomètres de l’extrémité sud de la BPR.

La « montée lente » devient dès lors, comment dire, plus exigeante.

Il faut savoir qu’à moins de 100 km de l’extrémité sud de la BRP —j’ai pris la route à 20 km de son extrémité sud— se trouve le pic le plus élevé de tout l’itinéraire. Ça représente, en gros, une cinquantaine de kilomètres de montées par paliers. Avec, en cadeau de bienvenue ce premier jour, la spécialité locale : la brume. Rappelez-vous, ça ne s’appelle pas les Smoky Mountains pour rien.

Josée Nadia me faisait remarquer que j’ai connu ça, la brume, dans le col du Tourmalet, en France. C’est vrai, mais jamais une brume aussi épaisse : non seulement je n’ai jamais eu l’impression de me retrouver au-dessus des nuages...

... mais je sais maintenant ce que c’est que de rouler dans les nuages!
C’est frustrant d’être privé d’un panorama sûrement incomparable. Et on aimerait bien offrir une récompense aux mollets qui protestent. Et pourtant, voici un de ces paradoxes cyclistes classiques. 6000 pieds, 1800 mètres, le plus haut point de la BRP. Une minute avant, j’étais haletant et j’ajoutais à l’humidité ambiante. Devant le panneau, instantanément, la fatigue disparaît. Le cerveau envoie je ne sais trop quoi, mais ça marche. Wow, j’y suis. Et en prime, on n’est qu’au milieu de ma première journée et déjà, je n’aurai plus à grimper aussi haut!

Le problème, c’est que le soir, à Asheville, je serai redescendu à 650 mètres... et que le lendemain, il y aura un col à 1250 mètres! Si jamais vous trouvez quelque part une chaîne de montagnes dont la crête est droite comme une planche à repasser, faites-moi signe.

En attendant Asheville —métropole régionale, la plus grosse ville de la partie montagneuse de la Caroline du Nord— donc, ça descend, et on sort des nuages...

Et croyez-moi, y a des moments où ça descend vraiment pour la peine —c’est-à-dire pendant plusieurs kilomètres d’affilée. Résultat, des 45 kilomètres/heure, et comme les routes sont impeccablement asphaltées, et qu’il y a relativement peu de circulation, on peut se permettre un peu plus d’audace. Quant aux champions cyclistes qui liront un jour ceci, et qui diront « seulement 45? », rappelez-vous que je suis ralenti du fait que je suis lourd, et je ne parle pas de mon embonpoint.

Au passage, une première pour moi : des tunnels! 26 en tout, la majorité dans les 200 km les plus au sud. À deux exceptions près, ils ne font pas plus de 200 mètres de long, ce qui veut dire qu’une fois entré, on voit la lumière de la sortie... Mais sur le coup, entrer là-dedans, ça impressionne!

(à suivre)

dimanche 24 juillet 2011

Blue Ridge Parkway 1: là-haut

J’ai commis une erreur en préparant ce voyage : j’ai toujours appelé ça « la route » Blue Ridge Parkway. Or, ce n’est pas juste une route. Si c’est un décor à ce point exceptionnel, c’est parce qu’il s’agit d’un genre de Parc national de 780 km de long... par moins de 300 mètres de large!

Et puisque c’est administré par le Service américain des parcs nationaux, ces centaines de kilomètres sont donc voués à la beauté de la nature, avec tous les efforts de préservation que cela suppose.

Les panoramas que tout le monde prend en photo, et je n'ai pas fait exception (toutes les photos qui suivent peuvent être agrandies en cliquant), ces panoramas qui font l'objet des cartes postales, donnant sur trois, quatre, voire cinq crêtes des Appalaches, sont la partie la plus célèbre du décor. Mais ils n’en disent qu’une partie.



C’est une série de concours de circonstances qui explique l'existence de tout ceci. D’abord, dans le premier quart du 20e siècle, des hommes épris de nature et éblouis par ce qu’ils avaient vu là-haut, furent suffisamment influents pour mousser en haut lieu la création de parcs. Ensuite, la crise des années 1930 : une des mesures prises par le président Franklin D. Roosevelt pour relancer l’économie fut le financement de grands travaux d’infrastructure —ce qu’Obama allait lui aussi faire, 75 ans plus tard. Un de ces travaux était la Blue Ridge Parkway, ou du moins un premier segment de la route telle qu’on la connaît aujourd’hui.

Le Guide to the Blue Ridge Parkway évalue à un millier le nombre de « vues panoramiques » le long de ces 780 km, dont une bonne centaine prennent la forme d’une halte routière, comme celle-ci.
Pas de villages : ils ne sont jamais loin, mais il faut sortir du parc —rappelez-vous, la « sortie » est à moins de 300 mètres à l’ouest ou à l’est. Pas d’épiceries, pas de magasins de souvenirs à part les centres d'interprétation. En fait, aucune activité commerciale : et ça, ça veut dire ZÉRO CAMION. Sur 780 km. Le bonheur.


Dans la moitié nord, qui traverse la Virginie, on trouve davantage de fermes à proximité —d'ailleurs, le parc loue des portions de terres à des voisins fermiers ou résidents.

Mais pas question de fils barbelés ou de clôtures Frost! Les clôtures doivent être en bois, et pas n’importe quel. Les murets de pierre doivent aussi s’harmoniser avec le paysage.
Quant à la moitié sud, qui traverse la Caroline du Nord, elle commence dans cette partie des Appalaches appelée les Smoky Mountains —les montagnes fumantes. Et leur fumée, c’est le brouillard.
Un brouillard à couper au couteau : imaginez que sur la photo ci-bas, à 1600 mètres d’altitude, on serait censé voir toute une vallée. Ainsi que, en face, à l’horizon, trois, ou quatre, ou cinq crêtes montagneuses. Frustrant. Mais c'est à prendre ou à laisser: le brouillard fait lui aussi partie du décor.

Toute cette humidité a un avantage : la végétation adore. Il y a par endroits explosions de fleurs sauvages, et il existe même des guides qui ne sont consacrés qu’aux arbres et aux fleurs qu’on peut observer dans le parc.
Et le vélo dans tout ça? La suite au prochain épisode.