On ne sait trop jusqu’à quel point la légende est exacte. Mais il est certain que, parmi les multiples routes d’évasion qui suivirent jadis les esclaves, un grand nombre suivaient inévitablement ces oiseaux : ceux-ci, chaque printemps, migrent du sud, le long du Golfe du Mexique, jusqu’aux Grands Lacs et à la vallée du Saint-Laurent.
Un des parcours de l’Adventure Cycling Association, une association vouée aux voyages de longue haleine, s’appelle l’Underground Railroad Route. Du nom de cette filière au sein de laquelle, au 19e siècle, des gens, au péril de leur vie, hébergeaient des esclaves en fuite et les dirigeaient vers l’étape suivante.
Dans mes trois jours de vélo après Biloxi, quand j’ai quitté le Golfe du Mexique pour virer plein Nord, je n’ai fait qu’une toute petite partie de cette route, le 2e jour.
Mon itinéraire cette fois: de la Nouvelle-Orléans (A) à Biloxi (B) le 6 juillet, puis à Waynesboro (C, le 7 juillet), Demopolis (D, 9 juillet) et Birmingham (E, 10 juillet).
Là où passait ce « chemin de fer souterrain », en Alabama, dans la vallée de la rivière Tombighee, on trouve encore de minuscules routes à une voie, peut-être pas si différentes de celles de jadis.
L'Alabama: aussi vert que le Vermont?
La rivière Tombighee, vue de la route 80 peu avant d'arriver à Demopolis.
Pour le reste, toute trace de ce passé a été effacée, bien sûr. Et le symbole ci-haut (et d’autres), vous ne le trouverez que sur Internet. La légende veut que les esclaves domestiques le cousaient, par exemple sur des couvertures de lit, qui étaient mises ensuite à sécher lorsque venait le moment d’envoyer « le signal ». Mais les historiens sont sceptiques : un tel signal, affiché au grand jour, aurait été un très gros risque, si jamais le secret avait été éventé. Et puis, pas besoin de suspendre une couette pour envoyer un message : le bouche-à-oreille suffit. Ainsi que ce savoir qui insufflait l’espoir : suivez les outardes.
Toute trace effacée? Pas si sûr. Alabama, 9 juillet. Je quitte la route 80 pour entrer dans un minuscule village, Bellamy, où l’on m’a dit, à la dernière station d’essence, que je pourrais y acheter un sandwich. Je l’ignore à ce moment, mais si j’étais resté sur la route jusqu’à la sortie suivante, j’aurais trouvé une petite épicerie. Au lieu de cela, 1 km plus loin, je tombe sur une roulotte, où le propriétaire, Eddy, un Noir dans la trentaine, vend du poulet frit. C’est le seul commerce, à part l’épicerie de la grand-route : sa clientèle doit provenir exclusivement du village.
Je jase avec Eddy. Ses deux neveux, des jumeaux qui ont « près de quatre ans » semblent tout étonnés de me voir. Le plus audacieux s’asseoit à côté de moi. Et il me touche les cheveux. Et il me touche la peau du bras. Je devine qu’il n’a jamais vu un Blanc de près!
« Are you...? » me demande-t-il, suivi d'un mot inintelligible, mais que je pense comprendre. En souriant, je lui demande de répéter sa question. Il répète et cette fois, sa mère entend et lui fait une gentille remontrance : « No, he is not. He is a nice man ».
La question était : « Are you a bogeyman? »
Au centre-ville de Birmingham, Alabama, il y a un petit parc, Kelly Ingram, qui rappelle la triste histoire de la lutte pour les droits des Noirs, dont cette métropole fut l’épicentre dans les années 1950 et 60. C’est ici que Martin Luther King fut emprisonné, en 1963, pour avoir pris part à une manifestation, et ce n’est que la moindre des tares dont cette ville tente encore de se libérer.
L’élection d’un président Noir démontre que le pays, dans son ensemble, a beaucoup progressé. Mais ces statues rappellent combien 1963, c’est un passé beaucoup trop récent pour que tout le sud en soit vraiment libéré. Cette fois, il ne suffit pas de suivre les outardes.
Pascal, c'est passionnant! Et j'ose à peine imaginer combien tu dois t'amuser, toi qui aimes tant l'histoire! Et cette anecdote avec le petit garçon: troublant!!! Bonne suite!
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