samedi 31 juillet 2010

Chicago Blues




Si un jour vous connaissez quelqu’un qui fait un voyage à vélo de longue haleine, dites-lui de se méfier de "la ville célèbre". Il comprendra. C'est cette célébrité dont on rêve depuis des jours, et qui était déjà vouée, avant même de partir, à devenir une étape-clef. Au point où on se donne l'illusion qu'une fois cette marche atteinte, l'escalier est presque gravi. C'est presque fini. Appelons ça le Chicago Blues.

Tout ça, c'est la faute aux politiciens de Chicago au 19e siècle, eux qui, avant-gardistes ou hardis, ont pressenti l'importance géographique que pourrait avoir leur ville, s'ils jouaient bien leurs atouts.

Regardez sur la carte au haut de cette page. Chicago est aux portes des grandes plaines de l’Ouest. Mais surtout, grâce aux Grands Lacs, elle est ouverte sur la côte Est, et sur le reste de la planète.

Chicago, c’est une New York. Ou bien une ville européenne par son architecture, qui ravit même ceux qui ne connaissent rien à l'architecture. C'est une ville qui jouit d'un dynamisme culturel et artistique énorme. C'est pour ça que les touristes l’adorent, et moi aussi.

Mais c’est aussi une ville de l’Ouest, tournée vers les fermiers et les éleveurs de boeufs. Elle a les deux pieds fermement plantés dans la prairie.

Après presque quatre semaines de vélo (sur 5) et 3500 km (sur 5000), en arrivant à Chicago le soir du 22 juillet, une partie de mon cerveau me disait wow, j'ai presque fini. Une partie de mon cerveau ne voulait pas entendre que j’avais encore les deux roues dans l’Ouest. Le blues que je craignais de ressentir pendant le trop long Kansas, et qui n'était pas venu, je l’ai un peu éprouvé à Chicago lorsqu’il a bien fallu me lever, en milieu d'après-midi du 23 juillet, d'une sympathique terrasse où je prenais un sympathique dîner avec vue sympathique sur le parc, la rue, les gens.

Mais si ce n'est que ça, vous me direz qu'il est difficile de se détacher des charmes de toute grande ville, surtout quand on veut rompre avec des milliers de kilomètres à vélo... et vous avez raison! Kansas City n'était pas mal elle non plus. La meilleure idée que j'ai eu a été de me dessiner un parcours qui serpentait à travers des banlieues choisies. Comme Ottawa (eh oui, il y a une Ottawa au Kansas) son quartier historique...

et son palais de justice...

... puis Olathe où débute vraiment une zone urbaine ininterrompue. Olathe et son palais de justice (pourquoi les palais de justice surpassent-ils souvent en beauté les hôtels de ville là-bas?)...

puis le coeur de Kansas City et l'art contemporain...
Ceci n'est pas un moineau de badminton tombé dans l'herbe. Les deux taches blanches à droite sont des gens. (Musée d'art contemporain de Kansas city, 17 juillet 2010).

Eh bien, Chicago, c'était pareil, mais avec sa célébrité en prime. Cette métropole contient de quoi occuper le corps et l'esprit pendant des semaines.
Le haricot, un cas d'art contemporain devenu en quelques années un symbole de Chicago. Dans la série "Trouvez Charlie", trouvez Pascal sur le haricot. (23 juillet 2010)
L'oeil, un cas tout récent. Sculpture de 9 mètres de haut par Tony Tasset, au parc Pritzker, devenue en un rien de temps la nouvelle coqueluche des photographes de partout à travers le monde.

Or, c'est tout à fait là qu'est le Chicago blues. J'aurais bien voulu rester en mode contemplatif, mais je ne pouvais pas, j'avais un itinéraire à compléter (je suis une tête de cochon...). Et après m’être levé de ce sympathique café pour ce « petit parcours » des quelques heures qui restaient à écouler dans la journée du 23 juillet, j’ai eu droit, sur la piste cyclable longeant le lac Michigan, à des images dignes de vacances, ou du moins que mon cerveau-en-vacances souhaitait voir comme telles.


Mais tout de suite après, la banlieue Est, plus moche que la banlieue Ouest, m’a rappelé à la réalité: le lendemain et le jour suivant, j'allais plonger dans un long territoire de plus de 350 km, entre les lacs Michigan et Érié, où rien d'aussi intéressant ne s'annonçait au programme. Et après ça, il y avait encore une semaine avant Montréal...

Eh bien voilà ce que c'est, le blues du cycliste: se mettre à ruminer sur ce qui reste devant, alors qu'il est plutôt essentiel de rester concentré sur l'ici et le maintenant —une journée à la fois, comme ils disent. C'est schizophrène sur les bords, mais ça marche.

vendredi 30 juillet 2010

On prévoit pour demain un vent de face

La mousson, c'est la saison des pluies en Inde: des semaines et des semaines de pluies ininterrompues. Il fallait donc une certaine audace —ou inconscience— pour donner le nom "mousson" aux orages qui éclatent en Arizona et au Nouveau-Mexique... où il peut ne tomber que quelque centimètres de pluie dans toute l'année!

La littérature est pourtant formelle: si une tempête de mousson approche, soyez très prudent. Mon contact au ministère des Transports de l'Arizona m'a aussi prévenu. Le ton suggérait vraiment que quand cette tempête arrive, le ciel nous tombe sur la tête. Aussi, lorsqu'à Phoenix le 30 juin, la météo a commencé à annoncer des risques d'orages de mousson pour la semaine à venir, je me suis mis en mode "oups".

Et lorsque, le surlendemain, j'ai vu ce nuage à l'horizon, derrière moi, j'ai vraiment commencé à m'inquiéter.

Là-bas, au milieu, est-ce juste de la pluie, ou un genre de tornade? Je me suis mis à accélérer, mais 20 km plus loin, il n'y avait plus rien. Soit j'avais distancé l'orage, soit il s'était dispersé.

J'allais voir son frère jumeau dans l'après-midi du 7 juillet, alors qu'il me restait 30 km à couvrir avant Santa Fe.

Là encore, accélération du tempo, tempérée par un soudain vent de face: et me revient en mémoire un autre truc lu sur Internet: un vent d'Est ou du Nord-Est (je roule alors vers le Nord-Est) est le signe d'un orage proche. La pluie commence à tomber quand j'arrive à Santa Fe et, ce qui n'a rien pour me rassurer, le tonnerre gronde tout près. J'arrive à l'auberge de jeunesse juste comme ça commence à tomber avec fureur... pendant 10 minutes.

"C'est tout?" que je ne peux m'empêcher de demander à la dame au comptoir. "Ici à Santa Fe, c'est beaucoup de pluie", qu'elle me répond.

Le lendemain alors que j'approche de Taos, même scénario: dans l'après-midi, vent de face, tonnerre, premières gouttes. Après mon arrivée à l'hôtel, une violente pluie pendant, cette fois, 30 minutes —les égouts ont du mal à soutenir. Et puis, soleil et arc-en-ciel.

Et encore le jour suivant, alors que j'approche de Raton. Cette fois, je n'évite pas la queue de l'orage, et je roule sous la pluie pendant 30 minutes. Mais pour un cycliste qui a roulé entre Montréal et New York pendant deux jours de pluie, y a rien là.

Et encore les jours suivants, avec des variantes: pas de pluie le jour, mais un violent vent de face qui se réveille dans l'après-midi. Or, si, à Santa Fe et Taos, mes journées finissaient à 15h, à Springfield (11 juillet) puis Lyons (14 juillet) puis Marion (15 juillet), elles finissent à 18h ou 19h, (les étapes sont plus longues). Je ne sais pas si vous savez, mais vent de face pendant 50 ou 100 km, c'est pire que des côtes.

La météo me confirme que je suis chanceux dans ma malchance: je suis dans une zone d'orages... sauf qu'ils restent autour. À un moment donné, c'est est presque drôle: la carte de CNN montre un long ruban de zones orageuses allant du Texas jusqu'au Québec, et un plus petit ruban un peu plus au nord. Entre les deux, un corridor... où je passe! J'échappe donc à la pluie, mais pas au vent de face.

Je n'y échapperai pas perpétuellement. Le 19 juillet, jour des collines du Missouri, je fonce en plein dedans. Regardez cette photo, prise au sommet d'une crête de collines, juste avant de commencer la descente.

Vous voyez une ligne noire à l'horizon? Ce n'est pas la vallée: c'est un orage.


Le matin, lorsqu'un premier avait commencé —un véritable orage cette fois, avec tonnerre et éclairs à la clef et rafales de vent— j'avais eu le réflexe de quitter la route pour aller m'abriter dans une grange. À 10 mètres d'une maison apparemment inoccupée ("anybody home?"). Trois chiens de la taille d'un beagle m'accueillent, dont un décidé à jouer le rôle de gardien. Je parle chien couramment: ils sont vite amadoués.

Le soir, je n'allais pas m'en sortir aussi facilement. Je roule aussi vite que possible vers Keokuk, où j'ai réservé une chambre. Je roule vite parce que l'obscurité tombe... mais surtout, parce que, sur ma gauche, un gros orage illumine le ciel. Pas juste le ciel: les éclairs suffisent à éclairer la route devant moi... et pourtant, pas une goutte ne me tombe dessus.

Jusqu'à ce que, à 10 km de Keokuk, je sois obligé de tourner à gauche, et de foncer en plein dedans. Là, des rafales de vent, et surtout une pluie si dense que je n'y vois plus rien et que je suis obligé de m'arrêter sous un porche. Puis dans le McDo, la seule chose encore ouverte à 22h.

L'actualité nous apprend que dans la nuit du 19 au 20 juillet, Okoboji, Iowa, a été frappée par des vents "de la force d'une tornade". C'était à 400 km au nord-est de l'endroit où je me trouvais. Je peux dire que j'en ai ressenti un petit bout.

mercredi 28 juillet 2010

Il était une fois (un vélo) dans l'ouest

Beaucoup d'États américains ont une randonnée cycliste populaire de plusieurs jours —soit l'équivalent de notre Grand Tour. Et savez-vous dans quel État se trouve la plus ancienne de ces randonnées? Pas la Californie. Pas même la côte Est. C'est l'Iowa.

On l'appelle RAGBRAI: The Register’s Annual Great Bicycle Ride Across Iowa. Une randonnée de 7 jours, pendant la dernière semaine de juillet, qui en est cette année à sa 38e édition! Et il coûte 140$... contre 745$ pour le Grand Tour, qui dure un jour de moins! Faut dire que notre Grand Tour inclut dans ce tarif deux repas par jour, mais pour 140$, RAGBRAI vous offre le camping et transporte vos bagages. Une aubaine.

Mon parcours (voir la carte au bas de ce billet) ne coïncidait pas avec le leur. Mais il est incontestable qu'après les grandes plaines du Kansas, dans cette région à cheval sur le Missouri, l'Iowa et l'Illinois, j'ai vu des paysages, des villes et des villages qui méritent amplement des randonnées cyclistes. Et, comme en Arizona (voir mon billet à leur sujet), on sent qu'il y a, dans chaque ministère des Transports de ces États, une volonté de donner sa chance au vélo.

MISSOURI
- Programme vélo et piétons du ministère des Transports du Missouri (incluant des cartes des parcours suggérés)
- Groupe de pression: Missouri Bicycle and Pedestrian Federation
(une liste plus complète des ressources pour chaque État traversé pendant ce périple sera dressée en août)

Kansas City, contrairement à ce que son nom indique, est davantage au Missouri qu'au Kansas: sa banlieue, par contre, s'étend sur plus de 50 km vers l'Est et le Sud-Est et entrer dans ce spaghetti d'avenues et de boulevards, après 5 jours de vélo à travers les routes tranquilles du Kansas, a certainement dû rebuter plus d'un cycliste, jadis.

Mais plus maintenant, avec Google Maps! La fonction "vélo" fait apparaître les pistes et voies partagées, et c'est la raison pour laquelle mon itinéraire se dirigeait en droite ligne vers Olathe: première banlieue à partir de laquelle il était possible d'accrocher quelques pistes et voies cyclables. Pas tout le long des 50 km, faut pas trop en demander, mais assez pour franchir les premiers obstacles et se retrouver de l'autre côté, hors de la ville, dans le pays des collines.

Entre Liberty et Brookfield, 18 juillet 2010.

Et des collines, dans le nord du Missouri, il y en a! Des cyclistes québécois lassés des collines du Vermont pourraient aller faire un tour 2200 km plus à l'est: de quoi s'occuper pendant des semaines. Et c'est d'un vert... On se croirait au Vermont!
Entre Brookfield et Kirksville, 19 juillet 2010.

Des douces et des escarpées, des parcours tout en rondeurs si vous faites un aller-retour ou, si vous prévoyez plus d'une journée, la montée d'un col d'un côté puis sa desceente de l'autre. Un col, ai-je dit? Oui, parce que dans un axe à peu près Est-Ouest, ces collines s'empilent les unes sur les autres jusqu'à un "sommet".
La petite maison sur la colline. (18 juillet)

J'avais bien vu cette altitude sur la carte en relief et je n'étais pas impressionné. Jusqu'à ce que je m'aperçoive que monter jusque-là était l'équivalent d'un escalier de 10000 marches... dont vous monteriez 100 marches, pour en descendre 95, puis 120 pour en redescendre 110, et ainsi de suite...

L'étape a été difficile —mais c'est moi qui avait pris une trop grosse bouchée. Et pour ne rien arranger, j'ai eu droit à deux orages (j'y reviens dans le prochain texte, sur la météo). Il y a plein d'autres endroits où il est possible de louer une chambre ou planter sa tente, pour faire 100 km plutôt que 200... et personne ne vous oblige à rouler quand il pleut!

Surtout que, de l'autre côté, il y a une récompense. Le Mississippi.

IOWA
Cartes vélo du ministère des Transports
Groupe de pression: Iowa Bicycle Coalition
Dommage pour RAGBRAI et l'Iowa, qui auraient mérité mieux, mais je n'ai fait qu'effleurer cet État. J'ai remonté le célèbre fleuve sur 200 km, avant de tourner à droite vers Chicago.
Le Mississippi, vu du parc Rand à Keokuk. En face, c'est l'Illinois. Le ciel était encore lourd de l'orage de la veille (20 juillet)

Un fleuve est un fleuve, diront certains. Le Mississippi n'évoque rien pour les uns, et beaucoup pour d'autres: avec le Nil et l'Amazone, il fait partie de ces cours d'eau que le cinéma et le roman ont chargé d'images.

Les autorités locales en sont certainement conscientes, elles qui ont préservé ici et là une route panoramique à l'emplacement de la vieille route, par exemple entre Keokuk et Fort Madison (32 km).

"Great River Road", membre des routes panoramiques des USA et voie cyclable: qu'est-ce qu'une route peut demander de plus pour être heureuse? (Entre Keokuk et Fort Madison, 20 juillet)
Plus modeste un minuscule parc au bord de la route 22 à Buffalo, Iowa (21 juillet)

Et quand on arrive à Burlington, puis Davenport, la taille des ponts frappe l'imagination si on se rappelle qu'il n'atteindra pas son embouchure, dans le Golfe du Mexique, avant 1500 km...
Le Great River Bridge, à Burlington, Iowa. En face, c'est toujours l'Illinois. (20 juillet).
Sur le trottoir Est du pont Centennial. A gauche, Davenport, Iowa, à droite, Moline, Illinois, deux des 4 villes d'une agglomération appelée Quad-City. (21 juillet)

Mais on ne longe pas TOUJOURS le fleuve. Fallait tout de même bien insérer une photo pour garder en mémoire que l'Iowa, c'est avant tout un État agricole!


ILLINOIS
Section vélo du Ministère des Transports de l'Illinois (incluant cartes)
Carte des pistes de Chicago
Groupe de pression: League of Illinois Bicyclists
Une fois traversé le fleuve à Davenport, on n'est plus qu'à 200 km du centre-ville de Chicago. C'est dire la force d'attraction que doit exercer cette métropole. Pourtant, l'Illinois réussit à se démarquer en offrant le plus complexe des réseaux cyclables des États visités jusqu'ici. L'un des deux dont je peux vous parler est la piste du Canal Hennepin qui, sur 65 km, conduit de la banlieue de Quad-City jusqu'en pleine campagne.

C'est de toute beauté et en plus, dans mon cas, après plus de 3300 km de routes, ça a fait un bien fou d'être loin des autos. Toutefois, la piste est en poussière de roches: avec mon vélo, c'était parfait, mais les cyclo-sportifs seront obligés de l'éviter. Dommage pour eux.



L'autre piste dont je peux vous parler est la Illinois Prairie Path qui, sur au moins 50 km (elle change de nom) serpente à travers les banlieues, jusqu'au coeur de Chicago.

Le premier segment, le long de la rivière Fox entre Oswego et Aurora, deux banlieues huppées situées à environ 75 km du centre-ville.

Bon, les segments ne sont pas tous enchanteurs à part égale...

...tandis que d'autres cachent d'étonnantes découvertes, comme cette tourbière, à 50 km du centre-ville!


Mais quelle ville aussi grande peut se vanter de pouvoir faire entrer des cyclistes de l'une de ses plus lointaines banlieues jusqu'à 10 km de son centre-ville, sans que la moindre carte routière ne soit nécessaire?

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Il en faudra plus pour vraiment connaître le Missouri, l'Iowa et l'Illinois. Mais tous les trois ont fait la preuve de leur soutien au vélo. Les amateurs y profitent depuis longtemps de circuits courts et longs, sur des routes de campagne impeccablement asphaltées.
L'itinéraire décrit dans ce billet de (A) Liberty, Missouri (banlieue nord-est de Kansas city) à (B) Brookfield (18 juillet) puis (C) Keokuk, Iowa (19 juillet) et de là, le long du Mississipi, jusqu'à (D) Muscatine (20 juillet) puis traversée du fleuve à Davenport Iowa jusqu'à (E) Princeton, Illinois (21 juillet) et finalement (F) Chicago (22 juillet).

mardi 27 juillet 2010

In other news... (2)

Si je lis les journaux locaux (voir aussi In other news du 9 juillet), c'est pour m'étonner de la masse de choses dont ils peuvent parler et dont nous ignorons tout à Montréal... et vice-versa. Mais dans le cas de ce voyage, passer 5 semaines à parcourir leurs journaux a une autre conséquence: ça redonne confiance dans ce que les États-Unis peuvent offrir de meilleur.

Le vélo, tiens, pour prendre un exemple tout à fait au hasard. Le Denver Post (Colorado) du 11 juillet posait un constat d'un genre tout à fait inattendu: cet État, de même que ses villes, créent tant et si bien de voies cyclables, de programmes de sensibilisation et de "bike libraries" (?) que les cyclistes... commencent à être trop nombreux!

Et que dire des maux dont on aime accuser les Américains. Attardés en science? Ils le savent, et il faut voir ce journal régional —pas municipal, régional— consacrer sa Une à un concours qui est leur équivalent des Expo-Sciences.

La Une, aussi, de The Press (nord-ouest de l'Ohio) qui se réjouit (26 juillet) que le district scolaire de la ville d'Oregon ait de bonnes chances de devenir le plus gros district de l'Ohio alimenté à l'éolien.

Un pays d'obèses? Ils sont nombreux à l'admettre. Un workout local a attiré des centaines de personnes, se réjouit le Topeka Journal (Kansas) du 16 juillet qui amorce son article par cette désolante statistique: plus de 28% des adultes du Kansas sont obèses.

Presque au même moment, le Quad-City Times (Davenport, Iowa et sa ville jumelle Moline, Illinois) se réjouissait de l'événement sportif populaire Quad-City Times Bix, "le plus gros party de l'année".

Ils souffrent d'un complexe de supériorité? La loi sur l'immigration de l'Arizona, qui prétend serrer la vis aux immigrants illégaux, est non seulement contestée par Washington, elle est critiquée par tous les journaux par où je suis passé, y compris l'Arizona.

Rassurant. Il y a donc plus d'Américains qu'on ne le croit qui sont conscients de leurs dérives. Ce qui peut sembler étrange, parce que quiconque s'intéresse aux médias a entendu parler de la désolante popularité de Fox News. Mais ceux qui penchent à droite, ce sont les commentateurs payés pour ça. Ils sont plus populaires, plus influents, mais ne sont pas toute la voix de ce pays.

Qui sait, l'incident autour de Shirley Sherrod a peut-être déjà décollé quelques paires d'yeux: vous en avez peut-être entendu parler à Montréal, c'est une fonctionnaire du ministère de l'Agriculture mise à pied la semaine dernière pour un commentaire soi-disant raciste, avant de recevoir un téléphone d'excuse d'Obama lui-même, lorsqu'on a entendu le clip au complet... qui disait exactement le contraire que ce que le commentateur Andrew Breitbart de Fox News lui avait fait dire. Ce chroniqueur du Morning Journal (Ohio) s'indigne, comme d'autres depuis la semaine dernière:

The traditional media are so petrified of being called “liberal” that they are prepared to allow the Breitbarts of the world to become their assignment editors. Mainstream journalists regularly criticize themselves for not jumping fast enough or high enough when the Fox crowd demands coverage of one of their attack lines.


Enfin, il y a tout de même UNE nouvelle presque canadienne qui a filtré ces deux dernières semaines: la libération sous caution de... Conrad Black. Encore une bonne nouvelle pour l'image du Canada...

dimanche 25 juillet 2010

Virage à gauche

Pas besoin d’être un grand prophète pour s’apercevoir que le désastre du Golfe du Mexique entraînera une remise en question de notre mode de vie. Jusqu’où ira toutefois cette remise en question, toute la question est là.

L’automobile a longtemps été un symbole de progrès. Le pétrole aussi. Et progrès signifiait alors vitesse et croissance. Comme l’écrivait en 1992 Claire Morissette dans son apologie du vélo, Deux roues, un avenir :

Alors que l’auto nous a entraînés dans une civilisation de la vitesse et de la croissance illimitée qui finit par nous dépasser, le vélo est la vitesse lente qui respecte ce qu’elle traverse, ne détrône pas son concepteur et obéit à son conducteur... Machine mécano-métabolique, outil convivial et écologique, la bicyclette s’oppose au véhicule qui rivalise avec l’humanité et épuise ses ressources.

(...) L’automobile a déjà été un symbole de progrès. Mais les sociétés qui s’en sont entichées déchantent maintenant. Le serviteur est devenu un maître tyrannique et ses inconvénients ont surpassé ses avantages. Le réveil est difficile après le rêve excitant de vitesse et de liberté qui avait été promis.


Aujourd'hui, tout laisse croire que nous sommes de nombreux cyclistes à traverser les États-Unis ou le Canada. Un employé d’hôtel et la cliente d’un restaurant à Raton (Nouveau-Mexique) m’ont dit en voir régulièrement. Des gens me voient arriver avec mes bagages et trouvent tout naturel de me demander si « je traverse le pays » (cross country), plutôt que « vous allez d’où à où »? Enfin, le 16 juillet, j’ai même rattrapé et jasé avec deux de ces fous : un couple qui roulait en tandem. Ils sont partis de San Diego eux aussi et se rendent, par de plus petites étapes et par un itinéraire différent, jusqu’en Virginie (on peut lire leur récit de voyage ici). Si les cyclistes « trans-Amérique » étaient une rareté, quelle aurait été la probabilité qu’eux et moi nous trouvions sur la même route de campagne de l’Est du Kansas, le même après-midi de juillet 2010?
Ben et Alice Pace, mes compagnons de quelques kilomètres. Rassurez-vous, ils ont eu la chance d'avoir un ami qui a monté leurs bagages en voiture dans les montagnes. (Old Highway 50, entre Lebo et Williamsburg, 16 juillet. Et il y a une photo de moi ici!)

Inévitablement, plus ces fous du vélo sont nombreux, et plus ils ont valeur d’exemple.

Mais non, je ne m’attend quand même pas à ce que tous les cyclistes traversent le continent. Je m’attend juste à ce que, ici et là, petit à petit, des gens se disent : eh, si ce cinglé a pu traverser les États-Unis, je peux sûrement traverser le Kansas. Ou aller visiter ma mère à Montezuma.

Mais il faudra plus que ces exemples positifs et qu'un désastre écologique, parce que notre mode de vie a la vie dure. Le Kansas, État producteur de boeufs à effet de serre, n’est pas à la veille de manquer de clients. Et pour ajouter à son dossier noirci, j’ai pu constater qu’il était aussi un important producteur de pétrole : il y a un nombre étonnant de puits en opération, et je ne peux parler que de ceux que j'ai vu depuis la route 160, dans le Sud-Ouest, et 56, dans le Nord-Est.



Des puits en plein milieu des champs. Dix rangs de blé d'Inde, un puits, dix rangs de blé d'Inde.

Et qui est l’exploitant? BP.
BP : je n’avais plus vu de stations-services BP au Québec depuis mon enfance, mais voilà qu’elles sont partout au Kansas, au Missouri, en Illinois et en Indiana. Donc, pas demain la veille qu’un groupe organisé osera monter un boycott..

Et pourtant. Et pourtant. Même au Kansas, il y a des signes de changements, sous la forme de ces tours blanches. Au bord de la route 56, près de la minuscule ville de Montezuma, j’ai eu la surprise de voir progresssivement s’élever à l'horizon, des deux côtés de la route, un immense parc de 170 éoliennes.


Le long de la route 56, quelques km à l’est de Montezuma, sud-ouest du Kansas, 13 juillet 2010.

Vérification faite, Gray County Wind Farm fut le premier parc éolien à grande échelle construit au Kansas, en 2001. Et en 2005, ses 112 MW furent surpassés par un autre parc, sur la rivière Elk, et en 2008 par un autre encore (voir liste)

Celui de Montezuma est donc moins puissant, d'accord, mais 170 éoliennes, c'est quelque chose (à titre de comparaison, Cap-Chat en compte 133, fournissant 100 MW). Ils ont même aménagé une halte routière.

Si même le Kansas a commencé à virer dans le sens du vent, tous les espoirs sont permis.

vendredi 23 juillet 2010

La conquête de l'Est

Je connais beaucoup mieux mon continent depuis que je le pédale.

C'est un cours de géographie, commencé par la théorie —Google Maps— et complété chaque jour par des travaux pratiques.

Prenez le Kansas. Vaste plaine, des champs à perte de vue, seulement interrompus par la ligne d'horizon? C'est à peu près ce que j'imaginais, et sur la carte, cette interminable ligne droite que semblait être la route n'avait rien pour me rassurer. D'autant moins que j'allais y passer 6 jours, en comptant la journée tout aussi rectiligne pour sortir du Colorado. (voir la carte au bas de ce billet)

Premier cliché: Eh bien le Kansas n'est pas plat. Il est ondulé.

Lorsque j'ai arrêté mon précédent récit, je terminais la descente de ce côté des Rocheuses et je me rendais compte que, même si j'étais encore à 1500 m de haut, le reste de la descente serait si progressif que je ne remarquerais rien.

Mais l'important ne fut pas là. L'important furent ces ondulations. Donc, il y a des collines. Donc, la ligne d'horizon est moins loin. Donc, la voiture qui me dépasse disparaît plus tôt, ce qui veut dire: tiens, ça descend, là-bas. Allons voir ça.

Ensuite, il n'y a pas de champs à perte de vue. Commençons dans le Sud-Est du Colorado, qui est déjà presque le Kansas: sur près de 300 km, c'est le "grassland". C'est-à-dire? Eh bien vous connaissez peut-être ce type de paysage sous le nom de pampa (en Amérique du Sud), ou de steppe (en Asie). Wikipédia le définit comme une immense étendue d'herbes dont les arbres sont le plus souvent complètement absents. Eh bien oui, c'est exactement ça.


Progressivement, un peu d'agriculture apparaît, comme à Kim, minuscule village de quelques centaines d'habitants, et le seul à 75 km à la ronde.

Et à un moment donné, sans même s'en être rendu compte, les champs: à gauche, en friche et jaunis par le soleil; à droite, cultivés. Ou vice-versa. Pendant 500 km qui ne sont pas plats ni uniformes... et pourtant, même ce livre de téléphone semble vouloir perpétuer le cliché!
Bottin téléphonique de la région de Ulysses, Kansas (12 juillet 2010).
Au Québec, les clochers d'église signalent qu'on approche d'un village. Ici, ce sont, évidemment, les élévateurs à grains.

Enfin, arrivé à l'est du Kansas, sur les 100 derniers km avant la banlieue de Kansas City, ce n'est déjà plus tout à fait le Kansas, mais le Missouri: un pays de collines —des vraies cette fois: on se croirait au Vermont— où la culture du foin est à l'honneur.

Un des rares parcours du Kansas sur une route secondaire (County Road) qui soit pavée. Entre Emporia et Lebo (16 juillet 2010).

Cliché no 2: où est John Wayne?

Le Kansas, pays des cow-boys? Du bétail, certes: ça explique tout ce foin qu'ils doivent cultiver. Mais les clichés ambulants, avec chapeau et bottes de John Wayne, ils sont rares, ils ont les cheveux gris et semblent appartenir au même passé que les hippies grisonnants de la Californie.

Même Dodge City, mythique capitale (qui fut aussi le théâtre de la télésérie Gunsmoke pendant 25 ans). Ça devrait être le royaume du kitsch western, non? Eh bien non: il y a bien le musée qui reconstitue les façades d'une ville du far-west, quelques boutiques, un musée de cire (photo du haut) et une diligence... dans le McDo! Mais en fait, ils n'en ont pas besoin, comme en témoigne ce fleuriste au coin des deux rues principales (photo du bas), qui ne se donne même pas la peine d'avoir l'air western: la principale industrie, et de loin, même autour de Dodge City, ce n'est pas le tourisme, ça reste le bétail.


Dodge City, 13 juillet 2010.

Cliché-qui-n'en-est-pas-un: loin
À tous points de vue, toute cette région, incluant le Missouri, c'est leur région éloignée à eux. Elle est aussi loin de la côte Est que de la côte Ouest. Ce panneau, guère visible (désolé, pas de zoom!) dit qu'on est à 1921 milles de New York... et de San Francisco! Moi-même, j'ai passé la barre des 2500 km, soit la moitié de ce voyage, avant d'arriver à Ottawa, quelque part dans les collines de l'Est.

En contrepartie de cet éloignement, toute la région se rabat sur la seule histoire qu'elle a: la conquête de l'Ouest. C'est fou, le nombre de panneaux qu'on trouve au bord de la route nous informant qu'on est sur la piste de ceci et de cela. En Arizona et au Nouveau-Mexique, il n'y en avait que pour la route 66, mais au Kansas et au Missouri, la Santa Fe Trail était omniprésente, et il y en avait quelques autres, dont une "Mormon Trail". Dans le centre historique de Dodge City, on prend même la peine de nous offrir un panneau nous informant que les premiers Européens arrivant ici jugeaient importants d'être sur le 100e parallèle, mais je ne suis pas parvenu à comprendre en quoi ça leur faisait un pli...
Heureusement, les poseurs de panneaux ont aussi trouvé moyen d'en rire. Sur la photo: traverse de chariots. Route 160, entre Trinidad et Springfield, Colorado.

Pays du foin de l'or noir
Auquel s'ajoute une autre ressource naturelle: le pétrole. Ça n'arrangera pas la culture des VUS et des 4X4. J'y reviens dans un autre billet.

Parce que, bon, ça, c'est vrai, ce n'est pas un cliché, je n'ai jamais vu autant de 4X4 en même temps.

Mais le cycliste que j'étais a toujours été traité avec respect —les voitures qui traversent de l'autre côté de la ligne pour dépasser, les gens qui saluent, les plus curieux qui demandent d'où j'arrive et où je vais.

Même dans des villes relativement petites (disons, assez grandes pour avoir une Main Street avec plus d'un restaurant), il n'est pas rare de trouver un "Mr Java", ou quelque enseigne du genre, où on fait un excellent Moka glacé. C'est bien la preuve que le Kansas a joint la civilisation, non?

L'itinéraire dont il est question dans ce billet. De (A) Trinidad à (B) Springfield, Colorado (11 juillet, 195 km) puis (C) Ulysses, Kansas (12 juillet) et (D) Dodge City (13 juillet), puis (E) Lyons (14) et (F) Marion (15), et enfin (G) Ottawa, Kansas (16 juillet), dernière grande ville avant la grande banlieue de Kansas City, à l'autre bout de laquelle se trouve (H) Liberty, Missouri (17 juillet). En tout, pour cette partie: environ 1050 km.