dimanche 25 juillet 2010

Virage à gauche

Pas besoin d’être un grand prophète pour s’apercevoir que le désastre du Golfe du Mexique entraînera une remise en question de notre mode de vie. Jusqu’où ira toutefois cette remise en question, toute la question est là.

L’automobile a longtemps été un symbole de progrès. Le pétrole aussi. Et progrès signifiait alors vitesse et croissance. Comme l’écrivait en 1992 Claire Morissette dans son apologie du vélo, Deux roues, un avenir :

Alors que l’auto nous a entraînés dans une civilisation de la vitesse et de la croissance illimitée qui finit par nous dépasser, le vélo est la vitesse lente qui respecte ce qu’elle traverse, ne détrône pas son concepteur et obéit à son conducteur... Machine mécano-métabolique, outil convivial et écologique, la bicyclette s’oppose au véhicule qui rivalise avec l’humanité et épuise ses ressources.

(...) L’automobile a déjà été un symbole de progrès. Mais les sociétés qui s’en sont entichées déchantent maintenant. Le serviteur est devenu un maître tyrannique et ses inconvénients ont surpassé ses avantages. Le réveil est difficile après le rêve excitant de vitesse et de liberté qui avait été promis.


Aujourd'hui, tout laisse croire que nous sommes de nombreux cyclistes à traverser les États-Unis ou le Canada. Un employé d’hôtel et la cliente d’un restaurant à Raton (Nouveau-Mexique) m’ont dit en voir régulièrement. Des gens me voient arriver avec mes bagages et trouvent tout naturel de me demander si « je traverse le pays » (cross country), plutôt que « vous allez d’où à où »? Enfin, le 16 juillet, j’ai même rattrapé et jasé avec deux de ces fous : un couple qui roulait en tandem. Ils sont partis de San Diego eux aussi et se rendent, par de plus petites étapes et par un itinéraire différent, jusqu’en Virginie (on peut lire leur récit de voyage ici). Si les cyclistes « trans-Amérique » étaient une rareté, quelle aurait été la probabilité qu’eux et moi nous trouvions sur la même route de campagne de l’Est du Kansas, le même après-midi de juillet 2010?
Ben et Alice Pace, mes compagnons de quelques kilomètres. Rassurez-vous, ils ont eu la chance d'avoir un ami qui a monté leurs bagages en voiture dans les montagnes. (Old Highway 50, entre Lebo et Williamsburg, 16 juillet. Et il y a une photo de moi ici!)

Inévitablement, plus ces fous du vélo sont nombreux, et plus ils ont valeur d’exemple.

Mais non, je ne m’attend quand même pas à ce que tous les cyclistes traversent le continent. Je m’attend juste à ce que, ici et là, petit à petit, des gens se disent : eh, si ce cinglé a pu traverser les États-Unis, je peux sûrement traverser le Kansas. Ou aller visiter ma mère à Montezuma.

Mais il faudra plus que ces exemples positifs et qu'un désastre écologique, parce que notre mode de vie a la vie dure. Le Kansas, État producteur de boeufs à effet de serre, n’est pas à la veille de manquer de clients. Et pour ajouter à son dossier noirci, j’ai pu constater qu’il était aussi un important producteur de pétrole : il y a un nombre étonnant de puits en opération, et je ne peux parler que de ceux que j'ai vu depuis la route 160, dans le Sud-Ouest, et 56, dans le Nord-Est.



Des puits en plein milieu des champs. Dix rangs de blé d'Inde, un puits, dix rangs de blé d'Inde.

Et qui est l’exploitant? BP.
BP : je n’avais plus vu de stations-services BP au Québec depuis mon enfance, mais voilà qu’elles sont partout au Kansas, au Missouri, en Illinois et en Indiana. Donc, pas demain la veille qu’un groupe organisé osera monter un boycott..

Et pourtant. Et pourtant. Même au Kansas, il y a des signes de changements, sous la forme de ces tours blanches. Au bord de la route 56, près de la minuscule ville de Montezuma, j’ai eu la surprise de voir progresssivement s’élever à l'horizon, des deux côtés de la route, un immense parc de 170 éoliennes.


Le long de la route 56, quelques km à l’est de Montezuma, sud-ouest du Kansas, 13 juillet 2010.

Vérification faite, Gray County Wind Farm fut le premier parc éolien à grande échelle construit au Kansas, en 2001. Et en 2005, ses 112 MW furent surpassés par un autre parc, sur la rivière Elk, et en 2008 par un autre encore (voir liste)

Celui de Montezuma est donc moins puissant, d'accord, mais 170 éoliennes, c'est quelque chose (à titre de comparaison, Cap-Chat en compte 133, fournissant 100 MW). Ils ont même aménagé une halte routière.

Si même le Kansas a commencé à virer dans le sens du vent, tous les espoirs sont permis.

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