samedi 31 août 2013

Comment traverser le Parc de la Vérendrye à vélo

En arrivant au petit bâtiment marquant la sortie Sud du Parc, j’étais un ti-peu fatigué. Après tout, j’avais commencé à pédaler à 5h45 ce matin-là et il était à présent 17h et des poussières. Mais une grosse boule de fierté avait pris le dessus dès le moment où, quelques minutes plus tôt, j’avais aperçu le bâtiment au bout de la route. Assez pour que je demande à la blague à l’employé s’il ne vendrait pas un t-shirt du genre « j’ai traversé le Parc de la Vérendrye à vélo ».

Eh non. Entre casquettes, gilets et cartes postales, il n’y en avait que pour des images de poissons et d’orignaux.

Mais quel pays magnifique. Des lacs d’un bleu éclatant et des baies et des criques. Des rivières tranquilles. D’autres coupées par des rapides. Et des arbres à l’infini. La nature comme aucun autre parcours de vélo de route au Québec ne vous permettra de la voir aussi longtemps.

Pour qui voudrait tenter l’aventure, cinq choses à vérifier :

1) Vérifiez si la route qui traverse le Parc, la 117, fait partie de la Route Verte. Vous pouvez déjà cocher cette case : c’est oui. Ça veut dire un large accotement asphalté tout au long des 175 km (et même tout au long des 280 km de Val d’Or jusqu’à Mont-Laurier). Ce qui place le cycliste à une distance sécuritaire des autos et des camions. Je pense avoir vu un million de petits panneaux vert et blanc « La route verte » pendant la journée.

Juste à la sortie de Val d'Or. Le cycliste qui se trompe de direction ici a une chance sur deux de le regretter longtemps.

2) Ne soyez pas pressés. Dans un voyage de longue haleine, nous, cyclistes, nous fixons généralement un objectif : par exemple, Montréal-New York, 4 jours. Donc, chaque matin, beau temps mauvais temps, on part. Mais cette fois, j’ai choisi de rester deux jours de plus à Val d’Or (voir le texte précédent: Val d'Or, ville cyclable), le temps que la météo cesse d’annoncer des orages intermittents. Parce que de la pluie, c’est rien, mais des orages dans un Parc, non merci. Et à quoi bon traverser un territoire magnifique si on ne peut pas l’apprécier?

Le lac MacLaurin, au petit matin.

La rivière des Outaouais, eh oui, pas mal plus au Nord que là où on la prend généralement en photo.

3) Soyez calculateurs. S’il y a 280 km entre Val d’Or et Mont-Laurier, il n’y en a que 207 entre le Motel Royal de Louvicourt —village situé plus près de l’entrée Nord du Parc— et les motels pour camionneurs de Lytton, tout de suite après la sortie Sud. J’ai donc fait une « pré-journée » —une fin d’après-midi— d’une trentaine de kilomètres, de Val d’Or à Louvicourt : ça faisait déjà ça de moins. Et j’aurais peut-être même pu en sauver 25 autres en prenant un motel isolé, situé tout juste à l’entrée Nord du Parc —dont Google ne m’avait jamais révélé l’existence. À vérifier pour une prochaine fois.

C'était difficile à cadrer, mais il y avait de l'eau des deux cotés pendant près d'un kilomètre.

4) Soyez calculateurs (bis). Même avec 207 km à faire pour la journée, il reste de la marge pour des pauses. Par exemple, si vous disposez de 14 heures (de 6h à 20h), ça représente une moyenne de 15 km à l’heure, incluant les pauses. Ou, calculé autrement : 20 km à l’heure, avec une pause de 15 minutes toutes les heures.

De temps en temps (mais rarement), quelques traces d'une civilisation passée. La pourvoirie de Dorval Lodge (80 km après Louvicourt).

5) Repérez les frigos à l’avance. Rien de plus encourageant pour un cycliste en train de gravir une côte que de calculer mentalement les kilomètres qui restent avant la prochaine pause... plutôt que ceux qui restent d’ici la fin de la journée! Ainsi, à mes kilomètres 80, 120 et 149, on lisait sur ma carte, « boutiques ». (carte du Parc ici) Soit des lieux où, à l’entrée d’un camping ou d'une pourvoirie, quelqu’un vend essentiellement du matériel de pêche... mais pas seulement: impossible d’imaginer une boutique au milieu de nulle part qui ne vendrait pas aussi des cannettes de boissons gazeuses bien froides! Quant à la pause du km 149, au lieu-dit « Le Domaine », elle comportait aussi un vrai restaurant et un vrai dépanneur. Le grand luxe.

C'est de l'algonquin.

Le traverser en un jour ou deux jours?

Vous vous sentez plus disposé pour un itinéraire de deux jours et vous ne voulez pas alourdir vos deux roues avec du matériel de camping? Dorval-Lodge, 80 km après Louvicourt, est une pourvoirie où on loue des chalets mais il faut réserver quelques jours à l’avance, et il n’acceptent pas toujours de louer pour une seule nuit. À vérifier. Même chose au Domaine, mais eux offrent, en plus, des chambres de motel.

Hypothétiquement, deux jours consacrés au Parc pourraient ressembler à l'un de ces scénarios :

- Val d’Or-Dorval Lodge (110 km) puis Dorval Lodge-Lytton (125 km). Il ne resterait alors que 50 km pour le jour suivant jusqu'à Mont-Laurier.
- Ou bien un petit Val d'Or-Louvicourt (33 km) avant le Parc: Louvicourt-Le Domaine (149 km) puis Le Domaine-Mont-Laurier (100 km).

Le Lac Roland, 165 km après Louvicourt (ou 35 km avant la sortie Sud du Parc).

Les chutes du Lac Roland, 2 km plus loin. Remarquez l'arc-en-ciel.

Quant au parcours lui-même, il n’était pas aussi « côteux » que je l’avais craint. Les montées n’étaient jamais abruptes comme en Estrie ou interminables comme dans nos cauchemars de cyclistes. Et j’ai été gâté par un vent généralement favorable. Je m’étais fixé pour objectif d’arriver au motel de Lytton, 7 km après la sortie Sud, avant 20h30, j’y suis débarqué de ma selle avec deux heures et demi d’avance.

Et les camions? J’ai vu bien pire sur des routes de Gaspésie ou de Montérégie... sans accotements!

Pensez à ce qui définit le parcours de vélo idéal : 1) des paysages époustouflants qui procurent des moments de grâce 2) sans pluie ni une température trop chaude ou humide 3) sur des routes carrossables et 4) loin de toute circulation automobile. J’avais 1), 2) et 3). Ça valait le coup.

Le TransAmerica Express au repos. Halte routière des chutes du Lac Roland, 5 août 2013.

Val d'Or, ville cyclable

Aux deux extrémités du parcours de cet été 2013, deux villes qui ont une chose en commun : beaucoup de voies cyclables. L’une s’appelle Montréal, l’autre... Val d’Or.

Je sais, on n’imagine pas vraiment Val d’Or comme une ville cyclable. En fait, à Montréal, on n’imagine pas Val d’Or du tout. Ce ne sont pourtant que 550 km —c’est moins loin que Toronto ou New York— mais il y a entre les deux un grand trou vert, immanquable sur les cartes : le Parc de la Vérendrye.

Mais je n’étais pas venu en Abitibi juste pour traverser le Parc à vélo. Après tout, des centaines de cyclistes l’ont fait avant moi : il y a non seulement une décennie que la route 117 est « balisée » Route Verte —ce qui signifie qu’il y a un large accotement asphalté d’un bout à l’autre du Parc. Mais en plus, Val d’Or est sympathique aux vélos : 49 km de voies cyclables dans une ville de 30 000 habitants, c’est pas mal.

Si vous voyez des poteaux dorés, c'est que vous êtes arrivés à Val d'Or.

Dans quatre directions, facile de sortir ou d’entrer : côté Nord, un parcours d’une quinzaine de kilomètres qui mène entre autres à une plage (Lac Blouin). Au Nord-Ouest, une piste de 10 km parallèle au boulevard, jusqu’à Sullivan. À l’Ouest, accotement asphalté sur 27 km, jusqu’à Malartic. Et à l’Est, l’accotement asphalté de la 117, qui s’enfonce dans les épinettes et les immensités vertes du Parc de la Vérendrye, jusqu’à Mont-Laurier —où vous faites la connexion avec la piste du P'tit train du Nord.

Marais sans nom près de Sullivan

J’étais venu en Abitibi avec mon vélo, par le train —terminus à Senneterre, à 75 km de Val d'Or— pour découvrir du même coup celui qu’on appelle le « train de l’Harricana », ou train du Nord, dernier segment survivant du train qui a jadis contribué à la colonisation de ces régions du Québec et du Nord de l’Ontario. J’étais venu aussi pour visiter Val d’Or, cette ville née des mines de cuivre et d’or de l’Abitibi et qui m’intrigue —parce que j’y ai habité de l’âge de 2 à 8 ans, et parce qu’elle a survécu au déclin appréhendé des mines : elle est devenue une capitale économique et culturelle pour cette région. Et elle est aux frontières de « notre » monde et du « vrai nord » —celui des Algonquins, des Attikameks et surtout des Cris, pour qui venir à Val d’Or, c'est « descendre dans le Sud ».

Elle se reconvertit, et le cycliste en moi veut croire que ses pistes cyclables en sont un (lointain) symptôme. Dans un échange par courriel, Ian Bélanger, de la division de l'Environnement et des Parcs de la ville, explique qu'une bonne partie du réseau cyclable a été décidée en 2002, dans un plan directeur visant à relier les municipalités nouvellement fusionnées (Sullivan, Dubuisson, etc.). Le passage de la Route Verte —qui ne fait pas que traverser le Parc mais traverse aussi la ville d'Est en Ouest puis poursuit jusqu'à Malartic— s'inscrit aussi dans cet effort.

Dommage que ce fameux Parc donne l’impression que ce soit plus loin de Montréal que ça ne l’est vraiment. La faute en est à une anomalie historique, qui est justement celle qui a donné naissance à l’Abitibi, « société distincte ». À la fin du 19e siècle, le mouvement de colonisation avait fait monter des jeunes gens dans les Laurentides, jusqu’à Mont-Laurier à 250 km de Montréal. Alors que ce mouvement s’essouflait, 250 autres km plus loin, des prospecteurs découvraient de l’or et du cuivre en Abitibi et faisaient du coup naître des villes : Amos (1910), Rouyn (1926), Val d’Or (1935). Le résultat dans la première moitié du siècle: deux régions en pleine croissance, l’Abitibi et les Hautes-Laurentides, mais séparées par cette immense tache verte, territoire pratiquement inhabité sinon par les Algonquins, aujourd’hui Réserve faunique La Vérendrye.

Les mines ont attiré des milliers de travailleurs venus des quatre coins du Québec, et de plus loin, comme en témoigne... cette église ukrainienne orthodoxe!

Aujourd’hui, la mine de Bourlamaque est fermée. Subsiste le village des mineurs...
...je doute que les maisons aient été aussi joliment décorées à l’époque...
...et le centre d’interprétation (appelé la Cité de l’Or). En revanche, à Malartic, à 27 km, on a plus que jamais les deux pieds dans la mine : il y a quelques années, la compagnie Osisko a déménagé à ses frais un quartier complet (200 maisons!), en plus de reconstruire une école secondaire et un centre communautaire. Une facture de plus d’un milliard et demi, à ce qu’on dit au Musée minéralogique de Malartic. Mais à en juger par la vitesse effarante à laquelle le « trou » s’est creusé en seulement deux ans, c’est rentable pour Osisko.

On « admire » cette mine à ciel ouvert depuis un belvédère situé au sommet d’un « mur » élevé pour limiter sur la ville le rejet des poussières créées par les explosions, deux fois par jour —sur la photo: à gauche, Malartic, à droite, la mine.

Et à deux pas de là (le belvédère est visible à gauche), un parc tout neuf, gracieuseté aussi d’Osisko. Autant dire que les écologistes montréalais auraient du mal à convaincre les habitants de Malartic qu’Osisko n’a pas bien fait les choses.

Pourtant, Val d'Or n'est pas si loin de Montréal. Ou du moins, ceux qui me connaissent comprendront pourquoi ça ne me paraît plus aussi loin. Pendant les quelques jours passés là-bas début-août, pédalant en ville et autour, je sentais la distance.
Mais ensuite, en faisant Val d’Or-Montréal à vélo (voir le billet suivant), j’ai retrouvé le sentiment qui m’a habité au terme de toutes mes longues randonnées aux États-Unis, spécialement celles qui s'achevaient sur le pas de ma porte: l’autre lieu devient tout à coup beaucoup moins loin quand on le pédale.

Pourquoi cette photo d'asphalte? Mes 30 secondes de nostalgie. C'est à cet endroit précis, sur la rue Cadillac à Val d'Or, avec mon école au bout de la rue, que j'ai donné jadis mes premiers coups de pédale.

Le citadin en moi est dubitatif. Je peux admettre qu'en hiver, les motoneiges aient le droit de circuler dans les ruelles. Mais comment se rendent-elles d'une ruelle à l'autre?

Dernière découverte personnelle, qui n’est pas en images: les Amérindiens. Ils sont partout au centre-ville de Val d’Or et là où les préjugés auraient vu en eux, il y a 20 ans, des gens venus pour s’amuser le temps d’une fin de semaine, on a plutôt affaire à un grand nombre de jeunes couples qui promènent leur enfant ou à de jeunes adultes qui jasent autour d’un Smoothies au Tim Horton tout en pianotant frénétiquement sur leur iPhone. Ils ne sont pas juste de passage : plusieurs travaillent ici ou étudient au cégep.

Ce qui a changé depuis mon enfance ici? La Convention de la Baie James qui, en 1975, a percé une route de l’Abitibi jusqu’à la Baie James, mais a surtout fourni aux Cris d’importants revenus qu’ils se sont employés à investir pour leur avenir (éducation, création d’entreprises, compagnie aérienne, etc.). Ici, je rêve, mais qui sait: peut-être cette transition entre leur culture et la nôtre sera-t-elle menée plus harmonieusement qu’elle ne l’a été ailleurs. C’est à suivre, à l’autre bout de la route.