Mais je n’étais pas venu en Abitibi juste pour traverser le Parc à vélo. Après tout, des centaines de cyclistes l’ont fait avant moi : il y a non seulement une décennie que la route 117 est « balisée » Route Verte —ce qui signifie qu’il y a un large accotement asphalté d’un bout à l’autre du Parc. Mais en plus, Val d’Or est sympathique aux vélos : 49 km de voies cyclables dans une ville de 30 000 habitants, c’est pas mal.
Dans quatre directions, facile de sortir ou d’entrer : côté Nord, un parcours d’une quinzaine de kilomètres qui mène entre autres à une plage (Lac Blouin). Au Nord-Ouest, une piste de 10 km parallèle au boulevard, jusqu’à Sullivan. À l’Ouest, accotement asphalté sur 27 km, jusqu’à Malartic. Et à l’Est, l’accotement asphalté de la 117, qui s’enfonce dans les épinettes et les immensités vertes du Parc de la Vérendrye, jusqu’à Mont-Laurier —où vous faites la connexion avec la piste du P'tit train du Nord.
J’étais venu en Abitibi avec mon vélo, par le train —terminus à Senneterre, à 75 km de Val d'Or— pour découvrir du même coup celui qu’on appelle le « train de l’Harricana », ou train du Nord, dernier segment survivant du train qui a jadis contribué à la colonisation de ces régions du Québec et du Nord de l’Ontario. J’étais venu aussi pour visiter Val d’Or, cette ville née des mines de cuivre et d’or de l’Abitibi et qui m’intrigue —parce que j’y ai habité de l’âge de 2 à 8 ans, et parce qu’elle a survécu au déclin appréhendé des mines : elle est devenue une capitale économique et culturelle pour cette région. Et elle est aux frontières de « notre » monde et du « vrai nord » —celui des Algonquins, des Attikameks et surtout des Cris, pour qui venir à Val d’Or, c'est « descendre dans le Sud ».
Elle se reconvertit, et le cycliste en moi veut croire que ses pistes cyclables en sont un (lointain) symptôme. Dans un échange par courriel, Ian Bélanger, de la division de l'Environnement et des Parcs de la ville, explique qu'une bonne partie du réseau cyclable a été décidée en 2002, dans un plan directeur visant à relier les municipalités nouvellement fusionnées (Sullivan, Dubuisson, etc.). Le passage de la Route Verte —qui ne fait pas que traverser le Parc mais traverse aussi la ville d'Est en Ouest puis poursuit jusqu'à Malartic— s'inscrit aussi dans cet effort.
Dommage que ce fameux Parc donne l’impression que ce soit plus loin de Montréal que ça ne l’est vraiment. La faute en est à une anomalie historique, qui est justement celle qui a donné naissance à l’Abitibi, « société distincte ». À la fin du 19e siècle, le mouvement de colonisation avait fait monter des jeunes gens dans les Laurentides, jusqu’à Mont-Laurier à 250 km de Montréal. Alors que ce mouvement s’essouflait, 250 autres km plus loin, des prospecteurs découvraient de l’or et du cuivre en Abitibi et faisaient du coup naître des villes : Amos (1910), Rouyn (1926), Val d’Or (1935). Le résultat dans la première moitié du siècle: deux régions en pleine croissance, l’Abitibi et les Hautes-Laurentides, mais séparées par cette immense tache verte, territoire pratiquement inhabité sinon par les Algonquins, aujourd’hui Réserve faunique La Vérendrye.
Les mines ont attiré des milliers de travailleurs venus des quatre coins du Québec, et de plus loin, comme en témoigne... cette église ukrainienne orthodoxe!
Aujourd’hui, la mine de Bourlamaque est fermée. Subsiste le village des mineurs... ...je doute que les maisons aient été aussi joliment décorées à l’époque... ...et le centre d’interprétation (appelé la Cité de l’Or). En revanche, à Malartic, à 27 km, on a plus que jamais les deux pieds dans la mine : il y a quelques années, la compagnie Osisko a déménagé à ses frais un quartier complet (200 maisons!), en plus de reconstruire une école secondaire et un centre communautaire. Une facture de plus d’un milliard et demi, à ce qu’on dit au Musée minéralogique de Malartic. Mais à en juger par la vitesse effarante à laquelle le « trou » s’est creusé en seulement deux ans, c’est rentable pour Osisko.
On « admire » cette mine à ciel ouvert depuis un belvédère situé au sommet d’un « mur » élevé pour limiter sur la ville le rejet des poussières créées par les explosions, deux fois par jour —sur la photo: à gauche, Malartic, à droite, la mine.
Et à deux pas de là (le belvédère est visible à gauche), un parc tout neuf, gracieuseté aussi d’Osisko. Autant dire que les écologistes montréalais auraient du mal à convaincre les habitants de Malartic qu’Osisko n’a pas bien fait les choses.
Pourtant, Val d'Or n'est pas si loin de Montréal. Ou du moins, ceux qui me connaissent comprendront pourquoi ça ne me paraît plus aussi loin. Pendant les quelques jours passés là-bas début-août, pédalant en ville et autour, je sentais la distance. Mais ensuite, en faisant Val d’Or-Montréal à vélo (voir le billet suivant), j’ai retrouvé le sentiment qui m’a habité au terme de toutes mes longues randonnées aux États-Unis, spécialement celles qui s'achevaient sur le pas de ma porte: l’autre lieu devient tout à coup beaucoup moins loin quand on le pédale.
Dernière découverte personnelle, qui n’est pas en images: les Amérindiens. Ils sont partout au centre-ville de Val d’Or et là où les préjugés auraient vu en eux, il y a 20 ans, des gens venus pour s’amuser le temps d’une fin de semaine, on a plutôt affaire à un grand nombre de jeunes couples qui promènent leur enfant ou à de jeunes adultes qui jasent autour d’un Smoothies au Tim Horton tout en pianotant frénétiquement sur leur iPhone. Ils ne sont pas juste de passage : plusieurs travaillent ici ou étudient au cégep.
Ce qui a changé depuis mon enfance ici? La Convention de la Baie James qui, en 1975, a percé une route de l’Abitibi jusqu’à la Baie James, mais a surtout fourni aux Cris d’importants revenus qu’ils se sont employés à investir pour leur avenir (éducation, création d’entreprises, compagnie aérienne, etc.). Ici, je rêve, mais qui sait: peut-être cette transition entre leur culture et la nôtre sera-t-elle menée plus harmonieusement qu’elle ne l’a été ailleurs. C’est à suivre, à l’autre bout de la route.
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