C’est sûr, 5215 km à travers les États-Unis est moins exotique que 5215 km à travers l’Asie ou l’Afrique. Et pourtant, qu’est-ce que je connaissais, avant de partir, de ce qui distingue les gens du Nouveau-Mexique ou du Kansas? Qu’est-ce qu’on connaît de l’Illinois, à part le centre-ville de Chicago? Même notre voisin, l’État de New York, n’y a-t-il pas des choses qu’il peut nous apprendre, qu’on soit urbains, ruraux... cyclistes ou non?
Je sais en tout cas qu’il peut apprendre beaucoup aux cyclistes québécois. En 2006, j’avais découvert avec Josée Nadia un parcours balisé qui va de la frontière du Québec jusqu’à Manhattan, qu’ils appellent « la route cycliste no 9 ». 600 km, le long de routes parfois achalandées, le plus souvent tranquilles, mais surtout... toujours directes! C’est-à-dire la route la plus directe qu’aurait pris l’automobiliste, à l’exception des autoroutes.
Et cette route cycliste no 9 n’est qu’un des trois axes principaux (image ci-contre) balisés pour les cyclistes, à travers l'immense État de New York, en plus de plusieurs axes secondaire (voir la section « vélo » du ministère des Transports de NY)
En comparaison, la Route Verte, au Québec, est rarement aussi directe, et ce n’est même pas son but premier.
Autrement dit, et c’est franchement déconcertant : la philosophie « vélo » du ministère des Transports de l’État de New York (ou de l’Arizona, ou du Colorado, etc.) est plus près de la philosophie du Danemark ou des Pays-Bas que ne l'est le Québec! La philosophie là-bas étant : partout où il y a une route pour les autos, il doit y avoir un espace pour les cyclistes (soit une piste à part, soit un accotement).
Ça, c’est dépaysant!
L’État de New York tel que l’avais connu entre Montréal et New York en 2006 se « sent » d’ailleurs dès que je met une roue dans cet État, le 28 juillet, le long du lac Erié. Tout au long de la route 5 : large accotement, semblable à celui de la « route cyclable no 9 » —et pourtant, officiellement, je ne suis même pas sur une route cyclable. Ça semble simplement normal aux autorités de l’État de New York que de placer un accotement d’un mètre de large sur une route secondaire.
Et ce sera comme ça sur la plupart des routes de cet État pendant 3 jours et demi, jusqu’à la frontière, à Dundee. Y compris lorsque je contournerai Buffalo, à travers sa banlieue achalandée : non, je n’aurai pas des accotements, faut pas rêver, mais continuellement des « share the road » le long d’un itinéraire que j’avais pourtant tracé un peu au hasard, par Google Maps, dans le seul but d'arriver plus vite à mon hôtel.
En terrain familier
Bon, y a pas juste le vélo dans la vie. Des sursauts de familiarité, il y en avait aussi eu beaucoup plus tôt, au milieu de ce continent. J’ai déjà mentionné la ville d’Ottawa au Kansas. Pas difficile de deviner que se cache, derrière cette homonymie, une histoire amérindienne commune (de fait, il y eut jadis une nation nommée Ottawa, répartie en quatre « tribus », l’une au Kansas et les autres dans la région des Grands Lacs).
Pas de quoi s’étonner non plus, pour qui se rappelle l'Histoire de la Nouvelle-France, de trouver des noms français. La Marquette Street, le LaPorte County... Encore que le ruisseau qui traverse Ottawa réussit à surprendre : la rivière Marais des Cygnes... Ce n’est pas moi qui traduit, c’est vraiment comme ça qu'ils l'écrivent!
Mais le plus surprenant sera ce nom, en Indiana:
Comment prononcent-ils ça? :-)
Invasions canadiennes
D’autres « présences » familières étaient tout aussi prévisibles. Les premières outardes par exemple, rencontrées 75 km avant Chicago, le long de la rivière Fox... Car Chicago, c’est aussi le lac Michigan, et les Grands Lacs, c’est leur territoire à elles!
Et leurs cousines, 1000 km plus loin, près d’Ogdensburg, dans l’État de New York.
En revanche, certaines « présences » étaient beaucoup moins prévisibles. Des bleuets au Michigan, j’aurais pu y penser, mais dans un emballage anglais-français???
Des Tim Hortons —fast-food 100% canadien— dans tout l'ouest de l'État de New York, c'est compréhensible, la frontière, à Niagara, n'est pas loin. Mais un train du CN, entre Toledo et Cleveland, Ohio?
Tout cela mis bout à bout, on pourrait en déduire que l’odeur de familiarité est de plus en plus forte à mesure qu’on approche de Montréal, non? Et pourtant, pas du tout. Je n'avais jamais entendu parler, par exemple, de la belle petite ville d’Erie, en Pennsylvanie, à 750 km de Montréal, assortie de son Parc de la presqu'île.
La dernière partie du voyage: de (A) Erie (Pennsylvanie) à (B) Depew (New York, 28 juillet) puis (C) Wolcott (29 juillet), (D) Watertown (30 juillet) et (E) Massena (31 juillet), d'où on n'est plus qu'à 150 km de Montréal (1er août).
Saviez-vous que dans cette partie de la Pennsylvanie qui touche au lac Erie, on longe des vignobles pendant des dizaines de kilomètres? Même en France, je n’en ai jamais vu autant en même temps!
Ci-haut: à gauche de la route 5, avec le lac en arrière-plan. Ci-bas: à droite. Et c'est comme ça pendant au moins 30 km, après la ville d'Erie.
Qui connaît la beaucoup moins belle ville de Rochester, New York, à 500 km? En 2006, elle m'avait laissé une impression moche. Pourtant, son journal, cette fin de semaine-là, révèle des concerts de musique celtique, un festival du film juif, un week-end de la culture hispanique, et je ne vous parle pas du country et des Journées Laura Ingalls d'un musée local.
N'empêche que cette fois, j'ai tout fait pour contourner Rochester par le sud. Résultat, j’ai peut-être découvert son plus beau spot : sa piste cyclable!
La piste en question longe le canal Erie qui, à cet endroit, forme un demi-cercle contournant la ville-centre. En haut : la vue, près de l’université. En bas : à Pittsford, au sud-est de la ville-centre.
Ou que dire de Syracuse? J'en suis passé à 60 km, mais j'ai senti sa force d’attraction (le journal, encore...). Festival de jazz, de l'artisanat, de la pomme, Festival italien, polonais, irlandais... tout ça pendant le même mois!
Ou Oswego? À 400 km de Montréal et là, on n'est plus sur le bord du lac Erié, mais Ontario. Ne manquez pas son Coffee Connection, un de ces petits cafés indépendants que j'adore, et ce qui ne gâte rien, juste au bord de l'eau!
Watertown, à 300 km? Pas eu le temps de comprendre ce qui s’y passe, mais il s’y passe sûrement de quoi : j’ai failli ne pas trouver de chambre, et la ville ne semble pourtant pas si grande! Son journal révèle une zone d’influence qui s’étend jusqu’à la frontière: qui sait, elle est peut-être l'équivalent de Plattsburgh, pour la région allant du flanc ouest des Adirondacks jusqu'au Saint-Laurent?
Et les Amish, tiens tiens. Je les savais en Pennsylvanie (j'ai vu ça dans Witness...). Mais il y a eu ce panneau, dès l'Indiana...
... puis le même panneau, plusieurs fois dans le nord de l'État de New York. Jusqu’à ce que je croise effectivement la carriole du panneau —les deux barbus qui la conduisaient sont comme dans le film— et que je comprenne que ce large accotement, dans ce coin-ci... il ne sert pas juste aux vélos! À Ogdensburg, qui n’est plus qu’à 200 km de Montréal, petite ville sur ce qui s’appelle ici la St. Lawrence River, encore des Amish, qui vendent au bord de la route des biscuits ou des paniers en osier.
Bref, pour l'absence d’exotisme, on repassera.
Alors pourquoi n'est-on pas plus nombreux à s'y aventurer? Eh bien c’est peut-être de la faute aux routes. Vous savez combien les cyclistes aiment se plaindre de la mauvaise qualité de l’asphalte québécoise. Elle offre trois tares fréquentes : 1) une fissure perpendiculaire tous les 10 mètres, ce qui finit par faire mal aux fesses et aux poignets; 2) un rebord d’asphalte si mal découpé, tellement fracturé, qu’il oblige le cycliste, désireux de garder la droite, à zigzaguer; et 3) pas d’accotement pavé sur une route à grande circulation.
Certes, j'ai vu ça aussi aux États-Unis. En 5100 km de routes dans 13 États américains, j'ai régulièrement rencontré ces trois défauts.
Mais il n’y a qu’au Québec que j’ai eu droit aux trois en même temps. Ça, c’est du dépaysement!
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